Betty Tchomanga
Née en 1989 d’un père camerounais et d’une mère française, Betty Tchomanga entame sa formation artistique en 2004 au Conservatoire de Bordeaux ainsi qu’auprès d’Alain Gonotey de la Cie Lullaby. Elle se formera ensuite au Centre National de Danse Contemporaine d’Angers (CNDC) en 2007 sous la direction d’Emmanuelle Huynh.
Sa carrière d’interprète débute alors en 2009, elle collabore notamment avec des artistes tels qu’Emmanuelle Huynh, Alain Buffard, Fanny de Chaillé, Gaël Sesboüé, Herman Diephuis, Marlene Monteiro Freitas et Nina Santes.
En parallèle de son parcours artistique, Betty poursuit des études littéraires à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle et obtient un master 2 en lettres modernes en 2014.
À partir de 2019, Betty Tchomanga se consacre principalement à son travail d’écriture et de recherche en tant que chorégraphe. Ses pièces travaillent la notion de transgression au sens de dépasser, traverser une limite, qu’elle soit physique ou esthétique.
Betty Tchomanga aime produire des formes hybrides où les corps se transforment et se métamorphosent. Elle travaille à partir de pratiques qui mettent en jeu un dépassement des limites du corps et de l’esprit via un engagement intense du souffle, du corps et de la voix. Depuis la création de son solo Mascarades en 2019, elle mène une recherche sur le culte vaudou et les représentations qui lui sont associées. Elle s’intéresse aux récits qui relient l’Occident et l’Afrique à travers notamment l’Histoire coloniale.
Betty Tchomanga chorégraphie et met en scène les pièces Madame (2016), Mascarades (2019), Leçons de Ténèbres (2022) et la série chorégraphique en quatre épisodes Histoire(s) Décoloniale(s) (2023-2024).
Betty Tchomanga est artiste associée au Théâtre de la Bastille à Paris et à Danse à tous les étages CDCN itinérant en Bretagne.
Mami Wata est une déesse des eaux, figure des bas-fonds de la nuit, du pouvoir et de la sexualité. Sirène échouée, elle fait face aux gens qui sont venus la voir. Elle saute. Le saut qui la traverse est un saut vertical, régulier. Danser en latin se dit saltare, de saltus, le saut. Créer une danse de sauts comme la rémanence d’un geste ancien – peut-être universel ? – un mouvement des profondeurs de l’être humain. Sauter comme la métaphore d’un désir, d’une recherche de plaisir. Un désir de plaisir. Un désir d’autre, de l’autre, de ce qu’on ne possède pas ou de ce que l’on n’est pas.
Sauter pour exulter. Sauter pour expulser. Sauter pour endurer. Sauter pour résister. Sauter pour atteindre. Sauter pour devenir. Sauter pour mourir. Sauter pour être.
Dans Leçons de Ténèbres, quatre corps se font les porte-voix de récits oubliés ou que l’on a voulu faire disparaître. Ils sont chevauchés par des forces qui les relient, agitent leurs poitrines. Elles se gonflent et se dégonflent, donnent des coups, sont traversées par des impacts.
Ces personnes creusent, corps penchés, courbés, jusqu’à déterrer l’invisible. Elles se transforment et se métamorphosent parfois jusqu’à disparaître. Tour à tour, elles défient, témoignent, assistent, protègent, soutiennent et font apparaître des visions.
Elles ont des peurs à partager, des images à brouiller, des masques à assembler, des feux à convoquer…
Les Leçons de Ténèbres sont originellement un genre musical liturgique du XVIIème siècle qui met en musique Les Lamentations de Jérémie sur la destruction de Jérusalem. C’est également le titre d’un film réalisé par Werner Herzog en 1992 sur la mise à feu de 732 puits de pétrole par les forces irakiennes qui se retirent du Koweit. Le réalisateur y met en scène une vision d’apocalypse comme un long poème sur la fin de la Terre.
Les Leçons de Ténèbres de Betty Tchomanga convoquent des disparus, des ancêtres, des revenants. Elles parlent des ténèbres et depuis les ténèbres, pour explorer l’obscur, nos histoires cachées et enfouies.
Dans son livre Une écologie Décoloniale, le docteur en sciences politiques Malcom Ferdinand propose une nouvelle façon d’aborder la question écologique en la reliant à l’histoire coloniale. La figure du navire négrier y apparaît comme une métaphore politique d’un monde marqué par des rapports de domination. Celle d’un navire-monde propose, elle, le récit d’une autre histoire du monde et de la Terre où seraient possibles la rencontre et la circulation des croyances, des pensées et des imaginaires. Cette métaphore entre en résonance avec les recherches de Betty Tchomanga sur le culte vaudou et la figure de Mami Wata. À l’instar du navire-monde de Malcom Ferdinand, son travail chorégraphique tout comme cette conférence-performance s’appuient sur la circulation, la cohabitation, la juxtaposition d’images, d’imaginaires et de croyances issues de cultures dominantes et dominées.
Avec UNE LEÇON DE TÉNÈBRES Conférence-performance, Betty Tchomanga invite le public à voyager au coeur de ses carnets de travail.
En prenant appui sur sa dernière création intitulée Leçons de Ténèbres, Betty Tchomanga propose une nouvelle forme lui permettant de faire cohabiter son travail de recherche, ses réflexions, ses questions avec les danses, les chants et les figures-fantômes présents dans la pièce.
La chorégraphe et performeuse entremêle paroles, images d’archives, récits de voyage et extraits chorégraphiques et rend ainsi visible le cheminement qui amène à la production d’une oeuvre. Tout au long de cette conférence-performance elle invite les spectateur.ices à faire le lien entre des éléments disparates ici rassemblés en un même corpus.
Histoire(s) Décoloniale(s) est une série chorégraphique en plusieurs épisodes qui débute en 2023 et qui sera amenée à se déployer et s’enrichir au fil du temps et des rencontres.
Avec cette série, Betty Tchomanga poursuit un travail autour des récits et histoires qui relient l’Occident et l’Afrique. Chaque épisode aborde l’histoire coloniale et son héritage par le prisme d’une histoire singulière, d’un corps, d’un vécu.
Chaque épisode est un portrait qui prend la forme d’un cours spectaculaire, à travers lequel il s’agit d’interroger la transmission du savoir et la hiérarchie des places, des contenus. Se demander d’où l’on regarde, de quelle place on raconte, depuis quel point de vue.
Comment les corps, par la danse, parviennent à raconter des histoires qui font l’Histoire ?
Histoire(s) Décoloniale(s) est une œuvre modulable qui peut être présentée de différentes façons, directement au sein des établissements scolaires ou dans des salles de théâtre. Les épisodes peuvent être présentés de manière indépendante ou associés.
« Ce qui me touche le plus dans la danse ou dans la musique c’est cette chose un peu mystérieuse qu’on appelle le groove. Cela passe souvent pour moi par la musicalité de la basse. Le groove c’est aussi quelque chose de très singulier, personnel qui touche à l’intime. C’est par ce chemin que je convoque des gestes, des danses, des voix qui viennent relier petite et grande histoire. »
Avec Histoire(s) Décoloniale(s) #Autoportrait, Betty Tchomanga poursuit son exploration des liens entre intime et politique à travers la forme du portrait. À partir de son nom de famille, de ses lignées, des silences, des mémoires qui n’ont pas été transmises, elle revient sur l’Histoire qui relie ses deux pays d’origine : le Cameroun et la France.
The Sea is History est un projet composé de deux objets distincts élaborés à partir d’une pensée et d’un processus de création commun. Il y a d’une part la création d’une pièce chorégraphique pour l’espace du théâtre et d’autre part un film oscillant entre documentaire et fabulation poétique.
La question de la représentation de l’esclavage, et plus spécifiquement du transbordement de millions d’enfants, d’hommes et de femmes durant toute la durée de la traite atlantique est au centre de ce projet de collaboration. Elle s’inscrit dans un mouvement initié par l’écrivaine africaine-américaine Toni Morrison, dont on peut trouver aussi la trace dans la pensée de l’écrivain martiniquais Edouard Glissant ou chez l’écrivaine africaine-américaine Saydiya Hartman.
En effet, alors qu’elle tente de reconstituer la vie et la mort de deux jeunes femmes ayant péri lors d’un transport d’esclave, Hartman s’interroge sur la nécessité d’écrire – ou de chorégraphier, d’interpréter et de filmer – « une histoire de la violence » et la possibilité de « revisiter les scènes d’assujettissement sans reproduire la grammaire de la violence ». Pour y parvenir elle propose une méthode d’écriture qu’elle nomme « fabulation critique », « un geste double » qui « se confronterait aux limites des archives pour écrire une histoire des captifs » et qui reconstituerait dans le même temps « l’impossibilité de représenter précisément la vie de ces captifs par le processus narratif ».
Cette méthode, ce geste double de reconstitution et de fabulation résonne profondément avec notre désir de prolonger des expériences chorégraphiques et filmiques passées, en les faisant résonner avec des récits biographiques, intimes, et des histoires collectives. Nous croyons à la capacité des ces formes chorégraphiques et filmiques associées à convoquer des histoires tout autant qu’à conjurer la camisole des conventions qui nous les rends inaudibles.
The Sea is History est donc une réponse chorégraphique et filmique à l’absence d’archives provenant de cet espace de la cale des bateaux lors du transbordement des esclaves de l’Afrique vers l’Amérique. Comme le souligne en effet l’écrivaine africaine-américaine Toni Morrison, il n’existe aucune chanson, aucun récit qui se soient transmis depuis cet espace. Il existe des livres de comptes, des plans organisant l’espace de la cale, les récits des armateurs, quelques récits de mutineries, mais rien qui ne puisse rendre compte de l’expérience de cet espace fondateur de l’identité afro- caribéenne par celleux qui y ont survécu.
Mathieu Kleyebe Abonnenc et Betty Tchomanga Février 2024